Offre promotionnelle
par Sarah Esther Crispe
Je suis arrivée à la conclusion que D-ieu fait
des « offres promotionnelles sans
engagement avec essai gratuit » comme on
en voit partout dans les publicités : parfois
on a trois mois gratuits, parfois plus, parfois
moins. Et les cadeaux de bienvenue sont
incroyables. Vous me suivez ou pas ? Voyez-
vous, j’en suis arrivé à comprendre que c’
est de cette façon que les Juifs qui n’ont pas
grandi dans des familles religieuses
deviennent eux-mêmes pratiquants.

Cette révélation m’est venue récemment, alors que j’enseignais à un groupe de jeunes
étudiantes de séminaire, toutes élevées dans des familles religieuses. Elles voulaient savoir
ce qui m’avait poussé à vouloir adopter un mode de vie pratiquant. En commençant à leur
décrire ce que fut mon cheminement dans cette transformation de ma vie, il y a maintenant
plus de dix ans, je me suis rendu compte que ce fut en premier lieu la publicité qui m’avait
attirée. Dans la foulée, il y eut les cadeaux bonus et, en atteignant la fin de ma période d’
essai gratuit, j’avais oublié que mon compte allait être débité mensuellement. Au départ, je
pensais rester juste assez longtemps pour profiter des cadeaux de bienvenue, espérant me
rappeler d’annuler mon abonnement à temps. Mais j’étais tellement accro que je ne me suis
pas aperçu que ma période d’essai était finie. Sans que je le sache, j’étais devenue un
membre du club à part entière, à jour de mes cotisations et profitant à ce titre d’avantages
qui dépassaient toutes mes espérances.
Ouaip, je suis sûre que D-ieu s’y connaît mieux en marketing que le meilleur d’entre nous. Il
sait parfaitement vendre sa marchandise. C’est un vrai pro. Autrement, pourquoi voudriez-
vous qu’un être humain sensé, intelligent et qui réussit sa vie choisisse d’échanger un
mode de vie confortable et « libre » contre un autre qui semble dicté uniquement par des
lois, des règles et des traditions ?
Voyez-vous, je n’avais aucune intention de devenir un jour religieuse. Quand je dis aucune,
c’est aucune. Je pensais vivre au jour le jour et faire mes choix au moment où ceux-ci se
présenteraient à moi. J’appréciais l’idée d’être ouverte d’esprit et à toutes les possibilités et
j’appréhendais les contraintes sous toutes leurs formes. Mais j’étais à la fac, la période
idéale pour ce genre d’attitude.
Sauf que D-ieu avait d’autres projets pour moi (n’est-ce pas toujours ainsi ?) et ma petite
vie tranquille devint soudainement aussi confuse que pénible. Le fait que je passe mon
année de licence en Israël n’était pas fait pour m’aider dans ce domaine : loin de mes amis
et en brouille totale avec ma proche famille au point où nous ne nous parlions plus. La rage
qui me faisait fermer ma bouche eut pour conséquence que mon porte-monnaie se ferma
aussi, ce qui veut dire que je me retrouvais seule aussi concernant mes besoins financiers.
J’ai trouvé un job de serveuse dans un hôtel. J’étais la seule Juive et la seule femme à
travailler aux côtés de cinquante hommes arabes. Je travaillais 45 heures par semaine et j’
avais des cours dans cinq matières à l’université. Autant vous dire que mon emploi du
temps ne me permettait pas d’avoir une vie sociale, mais au moins ça payait les factures.
Donc je n’étais pas vraiment dans un état de quête spirituelle. Je tâchais juste de survivre.
Et, bien que j’aie grandi dans une maison traditionnelle où l’on mangeait cachère et que j’
allais à la choule le Chabbat, je n’étais plus tellement connectée au Judaïsme depuis que j’
étais en Israël. C’est le moins qu’on puisse dire. L’hôtel payait double le travail du Chabbat,
alors, bien sûr, j’étais la première à me porter volontaire.
C’est alors que j’ai « vu la pub ». J’ai rencontré des gens merveilleux. Eclairés
spirituellement, ouverts intellectuellement et épanouis émotionnellement... J’étais jalouse. J’
avais de nombreuses questions, mais aucune vraie réponse. Ces gens, à l’inverse, étaient
tous branchés Torah et avaient l’air d’avoir une relation personnelle avec le grand et
unique D-ieu.
J’avais jusqu’alors pensé que Celui-Ci devait à peine savoir que j’existais. Je n’avais jamais
réellement cherché à Le connaître, et, quand nous communiquions, notre relation était
plutôt à sens unique. Quand j’avais gravement besoin de quelque chose, je m’adressais à
Lui et je promettait de modifier certaines choses qui n’étaient pas bien dans ma vie. J’
attendais en retour d’être sauvée de mes malheurs.
Ce qui est intéressant c’est que j’ai toujours pris ces « deals » très au sérieux. Quand je
faisais une promesse à D-ieu, je ne la transgressais jamais et, Lui aussi accomplissait
toujours Sa part du marché. J’essayais de ne pas trop prendre ce genre d’engagements,
mais, quand je le faisais, je m’y tenais. Je me rappelle d’un incident en particulier quand je
me suis retrouvée seule un soir, coincée dans ma voiture qui ne voulait plus redémarrer
dans une allée sombre d’un quartier mal famé de Los Angeles. Je me souviens du
désespoir absolu qui m’avait envahi à ce moment. Mais tout à coup, j’ai commencé à
murmurer le Chéma, chose que je n’avais pas faite depuis que j’avais des cauchemars
étant enfant. Et alors j’ai fait une de ces promesses imprescriptibles. J’ai promis à D-ieu que
s’Il me sauvait de cette situation, je ne roulerai plus jamais dans cette voiture. Et je m’y suis
tenue. Mes amis pensaient que j’étais folle, mais je ne suis jamais remontée dans cette
voiture.
Mais, en dehors de ces moments de détresse, j’avais plutôt tendance à L’oublier. Et
puisque je m’imaginais être toujours l’initiatrice de nos « transactions » occasionnelles, je
présumais qu’Il m’avait oubliée également.
Pour en revenir à cette « publicité », ça me tracassait, tous ces gens qui semblaient être
copain-copain avec Lui. Mais plus que d’une relation, j’avais surtout envie de réponses. Je
voulais comprendre le sens et le but de ma vie, et je me suis dis que le meilleur point de
départ est de commencer avec Celui qui m’a mise là.
Et c’est là que l’essai gratuit a commencé. Après l’étape « publicitaire », il n’y avait aucun
engagement à prendre, aucun contrat à signer, juste la nécessité de témoigner un peu d’
intérêt. Et j’avais cet intérêt. Alors j’ai appelé le numéro gratuit, je me suis présentée, j’ai dis
que nous avions déjà été en contact à quelques reprises et que je voudrais en savoir un
peu plus sur ce fameux Créateur. Le problème c’était que ma vie était déjà bien occupée et
que je ne savais pas comment j’allais l’y faire tenir. Entre mon job et la fac, je n’avais pas
un moment de libre.
Et c’est là que les cadeaux de bienvenue ont commencé à abonder. J’exprimai un besoin et
boum ! la réponse était là. C’était comme le génie dans la bouteille. Je travaillais trop ? Je
détestais mon job ? No problem. Le lendemain, une amie m’invite à déjeuner, le restaurant
cherchait une serveuse et en un tournemain je travaillais moitié moins d’heures pour le
double de mon ancien salaire. Et, devinez quoi : je ne pouvais plus travailler le Chabbat. Le
restaurant était fermé le Chabbat.
Les cadeaux bonus ont continué d’affluer. Lorsque les cours de Judaïsme auxquels je
voulais assister interféraient avec mon emploi du temps à la fac, l’emploi du temps
changeait. Donc, là, je gagnais bien, j’avais mes week-ends pour moi, je pouvais participer
à des repas de Chabbat chez des familles locales (activité hyperpopulaire chez les
étudiants étrangers à Jérusalem) et j’allais le matin à la yéchiva pour filles du coin pour y
étudier un peu. Pas si mal.
Ça a commencé à devenir effrayant. Je formulais un souhait, verbalement ou même juste
en pensée, et en 24 heures je voyais un résultat. Pendant un moment j’ai trouvé ça très
sympa. J’aimais être le bénéficiaire de tous ces miracles. Je me suis sentie investie du
pouvoir d’avoir une ligne ouverte avec le Tout-Puissant. Puis j’ai réalisé qu’il ne s’agissait
plus d’une relation à sens unique. D’accord, j’y trouvais largement mon compte, mais je
devrais fournir quelque chose en retour.
A ce moment, l’année universitaire tirait à sa fin et j’avais des choix sérieux à faire. J’avais
conscience d’être à un carrefour de ma vie, et je ne savais pas quelle route j’allais prendre.
Il était clair que j’étais tombée amoureuse du Judaïsme. Je ne m’étais jamais sentie
auparavant aussi vivante ni tellement en harmonie avec ma vie et le monde qui m’entoure.
Cependant, je n’étais pas encore prête à faire la transition entre une vie sans règles ni
limites à une vie structurée. La fête de Chavouot – qui commémore le don de la Torah sur
le Mont Sinaï – approchait et je me suis dis que c’était le moment approprié pour une
méditation et une introspection sérieuses.
Mais, là encore, mes plans et ma réalité n’ont pas été strictement en phase. Quelques jours
avant Chavouot, l’une des meilleures amies restée aux États-unis m’a fait la surprise de sa
visite en Israël. Elle n’était là que pour une semaine et désirait désespérément visiter l’
Égypte en ma compagnie. Et moi je ne savais pas comment lui expliquer que je voulais
passer la nuit à étudier et marcher jusqu’au Kotel (le Mur Occidental) au point du jour. Elle
n’aurait pas compris et je n’étais pas préparée pour tenter de lui expliquer.
C’est ainsi que je me suis retrouvée, en cette veille de Chavouot, à Dahab, en Égypte.
Dahab est situé à la pointe sud-est du désert du Sinaï et est connu pour ses plages
magnifiques et son atmosphère super décontractée. Je dois avouer qu’il ne m’a pas fallu
longtemps pour oublier que je n’avais pas voulu venir. Entre les bains de soleil et la
nourriture succulente, le souvenir de Chavouot s’estompa bien vite dans mon esprit. Je
veux dire : jusqu’à ce que je sois brutalement ramenée à la réalité par la femme qui était à
côté de moi.
« Alors, d’où venez-vous ? » me demanda-t-elle avec gentillesse. Bien que je ne fus pas
vraiment d’humeur à engager une conversation, je lui répondis que j’étais étudiante à
Jérusalem pour un an. À ma grande surprise, ses yeux se sont mis à briller et elle
commencer à m'interroger sur le Judaïsme. J’entrepris de partager avec elle mes
connaissances limitées en la matière et me suis instantanément retrouvée à lui décrire avec
passion combien je trouvais le Judaïsme extraordinaire sur les plans émotionnel, spirituel et
intellectuel. Nous avons parlé cinq heures durant jusqu’à ce que nous nous rendions
compte qu’il faisait noir autour de nous. Elle devait s’en aller, mais, avant de partir, elle me
demanda innocemment s’il y avait ou non une fête juive ce soir-là. Mon cœur s’arrêta net. C’
était le soir de Chavouot. J’avais complètement oublié, et j’étais en Égypte.
Pour la première fois de ma vie, cela me fit quelque chose. J’eus le sentiment d’une terrible
perte. Comme si j’avais été invitée à une entrevue particulière avec D-ieu et que j’avais tout
simplement décidé que j’avais mieux à faire. Dans ma perception, j’avais commis un
dommage irréparable.
J’étais très déprimée et me sentais prise au piège dans ce « lieu de vacances ». Je me suis
traînée jusqu’au restaurant de l’hôtel avec mes amis et un groupe d’autres jeunes. À ma
grande surprise, j’y rencontrais Mike qui fréquentait les mêmes cours que moi à l’Université
Hébraïque. Bien qu’il ne fut pas ce que j’appellerais religieux, il était très spirituel. Il s’est
joint à nous pour le dîner puis nous dit qu’il devait partir. Je n’arrivais pas à imaginer ce qu’il
pouvait faire à Dahab, alors je le lui ai demandé.
Il me dit qu’il était venu à Dahab pour Chavouot car cette ville est très proche de l’endroit
considéré par de nombreux spécialistes comme le Mont Sinaï. Il voulait passer la nuit à
étudier et m’invita à me joindre à lui. Je n’arrivais pas à répondre, mais les larmes qui
coulaient sur mes joues suffirent à exprimer mon « oui ». Nous avons salué nos amis et
sommes sortis.
Nous avons trouvé une petite hutte éclairée par une bougie. Mike avait amené avec lui une
Bible bilingue et nous avons décidé de lire à tour de rôle. Nous n’avions pas la moindre
idée de ce qu’il fallait faire, mais nous avons ressenti le besoin de prononcer une
bénédiction. Alors nous nous sommes lavé les mains, comme nous avions vu des gens le
faire avant de manger du pain, et nous avons prononcé une bénédiction de mon cru : «
Baroukh Ata Hachem… al HaTorah. »
Quand la bougie a commencé à vaciller, je me suis rendu compte qu’elle n’était plus
nécessaire. Le soleil allait se lever et nous avions passé toute la nuit à étudier la Torah. Je
pris, à ce moment-là, la décision que j’allais rester en Israël pendant l’été pour suivre un
programme d’étude de Torah à plein temps. Je pris la résolution de parler à mes parents et
d’arranger ce qui n’allait pas entre nous. Et je décidais que je ne considérerais plus le
Judaïsme et sa pratique comme une spectatrice, mais que je m’efforcerais d’observer la
Torah de D-ieu et Ses commandements.
C’était Chavouot et j’avais mérité de recevoir la Torah. J’ai marché vers la mer et j’ai dit le
Chéma de toutes les forces de mon cœur, de mon âme et de mon esprit. Je savais que D-
ieu écoutait, qu’Il avait toujours écouté et qu’il écouterait toujours.
C’est ainsi que s’acheva ma période d’essai gratuit. Le délai de rétractation était dépassé,
plus de retour, plus de remboursement. Et c’est bien comme cela que je l’entendais.
Sarah Esther Crispe est écrivain, enseignante et mère de quatre enfants.