Le jour où rien n’arriva
Une étape décisive
Adapté des enseignements du Rabbi de Loubavitch
[Le 1er Sivan] Moïse ne dit rien à tout le Peuple Juif car ils étaient fatigués du voyage.
(Talmud, Chabbat 86b)
Le premier jour du mois de Sivan, en l’année 2448 depuis la Création (1313 avant l’ère commune), six
semaines après l’Exode, le peuple d’Israël arriva au Mont Sinaï. Six jours plus tard, tous les Juifs étaient
rassemblés au pied de cette montagne alors que D.ieu Se révélait à eux et leur donnait la Torah.
Depuis, nous célébrons la fête de Chavouot (6-7 Sivan) comme « le Moment du Don de Notre Torah ».
Le dix-neuvième chapitre du livre de Chemot décrit la dernière semaine de préparatifs pour la révélation
sinaïtique (semaine que nous vivons ces jours-ci). Analysant le récit de la Torah, le Talmud (Chabbat
86b-8a) rassemble la suite des événements de ces six jours, du 1er au 6 Sivan.
1er Sivan : Moïse ne dit rien du tout au Peuple Juif car ils étaient fatigués du voyage.
2 Sivan : À l’aube, Moïse monte sur le Mont Sinaï. Il en rapporte un message de D.ieu où Il exprime Son
désir que nous devenions Son peuple d’élection.
3 Sivan : D.ieu demande à Moïse de clôturer le Mont Sinaï, marquant les frontières où chacun devra se
tenir au moment où D.ieu Se révélera sur le Mont Sinaï et leur donnera la Torah : le peuple juif en
général, les Cohanim, Aharon et Moïse.
4 Sivan : Le Peuple Juif reçoit l’instruction de se purifier et de se rendre saint, en préparation au Don de
la Torah.
5 Sivan : Moïse construit un autel au pied de la montagne et scelle l’alliance entre D.ieu et Israël.
6 Sivan : Le Don de la Torah.
Le blanc mystérieux
La révélation du Sinaï constituait le point culminant et l’aboutissement de la sortie d’Égypte.
Depuis le moment où Moïse leur avait rapporté les paroles de la promesse de rédemption, le Peuple d’
Israël attendait donc impatiemment la révélation du Sinaï. C’est ainsi que depuis le jour où il avait quitté l’
Egypte, le peuple d’Israël comptait littéralement les jours qui devaient les conduire au matin où ils se
rassembleraient pour « servir D.ieu sur cette montagne » et où ils recevraient la libératrice vérité des
vérités. Jusqu’à ce jour, nous revivons leur compte de 49 jours avec notre propre « Sefirat HaOmer ».
A la lumière de ce qui précède, les événements, ou plutôt l’absence d’événements, du 1er Sivan est
difficile à comprendre. Selon les calculs du Talmud, c’était le jour où « Moïse ne dit rien à tous les Juifs
parce qu’ils étaient fatigués du voyage ». Mais, après six semaines d’anticipation et de préparation pour
ce grand jour, tout pouvait-il s’arrêter tout simplement parce que le Peuple Juif était fatigué du voyage ?
Est-il possible d’imaginer que le jour même où ils arrivèrent au Sinaï, ils ne firent rien pour se préparer à
recevoir la Torah ?
La mise en veille de l’intellect
Mais regardons de plus près ce que nous dit la Torah des actes du peuple Juif en ce 1er Sivan : Ils
avaient voyagé de Refidim et arrivèrent dans le désert du Sinaï et campèrent dans le désert ; et Israël
campa là-bas, devant la montagne (Chemot 19, 1-2).
Dans son commentaire sur ces versets, Rachi note l’utilisation grammaticale étonnante du singulier :
vayi’han (« et il campa » plutôt que l’attendu vaya’hanou, « et ils campèrent ») alors qu’il s’agit de tous
les membres du peuple Juif. Rachi explique que la Torah désire ici nous informer que « ils campèrent
comme un seul homme, avec un seul cœur, contrairement à tous les autres campements, qui étaient
marqués par la discorde et les disputes. »
Et c’est un fait que nous rencontrons de nombreux exemples de querelles et même de révoltes au cours
des voyages d’Israël dans le désert. Mais tous les autres campements (42 en tout, comme ils sont
dénombrés dans le 33ème chapitre de Bamidbar) furent-ils vraiment marqués par des désaccords et le
Sinaï fut-il la seule exception pacifique ?
Il ne faut pas comprendre les dissensions qui caractérisèrent les campements juifs seulement en termes
négatifs. Nos Sages nous disent que D.ieu créa l’homme de telle manière que « de même que deux
êtres ne sont pas semblables par leurs traits, deux êtres ne sont pas non plus semblables dans leur
esprit ni leur caractère » (Talmud Bra’hot 58a). Ainsi, les divergences d’opinions n’émergent-elles pas
forcément de l’égoïsme et de l’animosité. Elles peuvent aussi venir d’une recherche sincère de la vérité
et d’un désir de réaliser pleinement son potentiel en tant qu’individu. Néanmoins, ce qui était
acceptable, voire désirable dans les 41 autres campements ne pouvait l’être à Sinaï. Car une part
importante de notre préparation pour recevoir la Torah était, et reste, l’éradication de toutes les
différences dans la perspective et la compréhension.
La raison peut en être mieux comprise en examinant les différences entre l’étude de la Torah avant et
après le Sinaï. Avant le Sinaï, la Torah était également étudiée et observée par nos ancêtres : Chem, le
fils de Noa’h, dirigeait une académie d’étude de la Torah avec son arrière petit-fils, Eber, à laquelle
avaient étudié Avraham, Its’hak et Yaacov. Les trois Patriarches établirent eux-mêmes des Yechivot. Et
tout au long de l’exil égyptien, la tribu de Lévi (qui n’était pas asservie) s’occupa d’étude de la Torah.
Mais, avant le Sinaï, l’intellect humain était l’outil par lequel nous avions accès à la Torah. La sagesse
divine avait été mise dans des mots et des idées accessibles à l’intellect et, puisque chaque esprit est
unique, à la fois dans sa force et dans ses limites, l’étendue et la profondeur de la compréhension de
chaque élève différaient. De toute évidence, aucun esprit n’était capable d’appréhender toute la Torah
dans son entier, puisque l’infinie sagesse de D.ieu n’aurait jamais pu être contenue dans un esprit
humain fini.
Mais au Sinaï, D.ieu nous donna Sa Torah, tout entière. Il choisit de donner l’ensemble de Sa sagesse,
quelles que soient les limites de notre intellect. A ce moment-là, Moïse et le plus simple des Juifs furent
égaux dans leur aptitude à saisir par leur propre intellect l’essence de la sagesse divine et par le fait
que D.ieu leur avait attribué cette compréhension comme un don. Pour se préparer au Don divin de la
Torah, le peuple Juif devait faire abstraction de son intellect et de ses aptitudes individuelles. Il devait
faire la transition d’une appréhension active de la Torah à une réception passive d’un don d’En haut.
Ainsi, le 1er Sivan, le jour où les Juifs arrivèrent au Sinaï, fut-il loin d’être un jour sans événement. Bien
au contraire, ce fut un jour de préparation intense, impliquant une activité sans précédent : établir un
campement qui était « comme un seul homme avec un seul cœur ». Il s’agissait non seulement d’
atteindre un consensus sur un cours d’action unifiée (« comme un seul homme »), mais chacun devait
aussi abandonner son approche, sa perspective et son intuition individuelles pour parvenir à une
réceptivité altruiste (« un seul cœur »), ce qui constitue le pré-requis le plus important pour le don divin
de la Torah. Ce jour-là, Moïse ne leur dit rien, mais son silence dans l’ordre du jour en fut sa plus forte
articulation : transcender sa compréhension individuelle de la Torah et faire de soi-même un réceptacle
vide qui allait recevoir ce que D.ieu allait donner.
Retour à soi-même
Après ce jour « où rien n’arriva » du 1er Sivan, suivirent cinq jours d’activité intense pour préparer
Sinaï. Une fois encore, des différences vont émerger. Moïse, Aharon, les prêtres et le commun des
mortels auront chacun ses frontières clairement démarquées. Car chacun doit désormais prendre l’
essence de la Torah, que tous ont reçue de manière égale, et l’appliquer à sa propre vie, avec les
outils de sa propre connaissance et de sa propre expérience.