Pessa’h : la fête de l’enfant
Quand pour la dernière fois vous êtes-vous sentis libres ? Bon nombre d’entre nous,
pliant sous le poids des responsabilités professionnelles, familiales ou sociales et des
autres implications de l’état d’être humain, ressentons la liberté comme aussi rare qu’
essentielle, aussi insaisissable que désirable. Nous la voulons, nous en avons besoin
mais comment l’atteindre ?
Mais observez l’enfant. Regardez le jouer, plonger dans son livre préféré, dormir en
souriant à ses rêves. Il est sûr que son père et sa mère vont le nourrir, le protéger et se
préoccuper de tout ce qui est préoccupation. Il est libre. Libre de révéler son être le plus
profond, libre de grandir et de se développer, ouvert à toutes les joies et les promesses
qu’offre la vie.
C’est la raison pour laquelle Pessa’h, la fête de la liberté, est surtout la fête de l’enfant.
Car c’est l’enfant qui suscite en nous la prise de conscience que nous aussi sommes les
enfants de D.ieu et donc intrinsèquement et éternellement libres. C’est l’enfant qui ouvre
nos yeux sur le sens ultime de Pessa’h : en nous sortant d’Egypte pour faire de nous
Son peuple élu, D.ieu nous a libérés de tout esclavage et de tout joug, en tous temps.
C’est pourquoi l’enfant est le participant le plus important du Séder de Pessa’h. Nombre
de coutumes du Séder ont spécifiquement comme but d’étonner l’enfant, de stimuler sa
curiosité, de l’obliger à demander : Mah nichtanah halaïlah Hazéh… » Pourquoi cette nuit
est-elle différente de toutes les autres nuits ? » Car la Haggadah toute entière, le « récit
» de l’histoire de notre rédemption d’Egypte au Séder est construite autour du concept :
« Quand votre enfant vous demandera…vous raconterez à votre enfant ». A Pessa’h,
nous voulons pénétrer l’esprit de l’enfant, voir la réalité de sa perspective. Car sinon,
comment goûter à la liberté ?
Quatre fils
Mais les enfants, comme peuvent l’attester tous les parents, sont bien différents les uns
des autres. Un examen plus précis de la discussion de la Torah relatée lors du dialogue
lu au Séder révèle plusieurs versions des questions de l’enfant et des réponses des
parents. La Haggadah explique que « la Torah s’adresse aux quatre fils : le sage, l’impie,
le simple et celui qui ne sait comment poser de questions ». Selon la manière dont l’
enfant articule (ou n’articule pas) sa question, la Torah offre quatre approches
différentes pour expliquer le message de la fête et le sens de notre liberté.
L’enfant sage » pose des questions intelligentes, bien construites qui reflètent la justesse
de ses observations et son désir de connaître, d’apprécier et de participer. Le fier père
lui répond par une explication détaillée des observances du Séder, du commencement à
la fin, jusqu’à la loi selon laquelle « l’on ne doit pas servir de dessert après la viande de l’
offrande pascale » pour que son goût subsiste dans nos palais longtemps après le
Séder.
L’«enfant impie» constatant les efforts et les dépenses impliqués pour observer le Séder
demande: «Qu’est-ce que ce travail qui est le vôtre?». La Haggadah remarque que c’est
quelque chose à laquelle il ne veut aucune part pour lui-même. «C’est pour ce que D.ieu
a accompli pour moi, répond le père sur le même ton, quand j’ai quitté l’Egypte». «Pour
moi…quand j’ai quitté l’Egypte» impliquant, explique la Haggadah, que «s’il (l’enfant
impie) avait été présent là-bas, il n’aurait pas été libéré».
A l’«enfant simple», qui ne peut que formuler un laconique «qu’est-ce que c’est?», le
père fournit une explication élémentaire appropriée du sens de la nuit de Pessa’h.
Enfin au père de «l’enfant qui ne sait poser de questions», la Torah instruit: «Raconte à
ton enfant». Prends l’initiative de la discussion, implique-le dans la conversation et dans
la participation.
Là-bas et ici
Parmi les réponses proposées, il en est une qui nous interpelle. La réponse au «fils
impie» mérite d’être clarifiée. Pourquoi lui répondons-nous qu’il aurait été laissé en
arrière au moment de l’Exode ?
Ce fut, en fait, le cas. Nos Sages nous disent que seul un cinquième des Juifs quittèrent l’
Egypte pour Sinaï lors du premier Pessa’h. Les autres quatre cinquièmes refusèrent de s’
en aller, préférant l’esclavage à Pharaon plutôt que l’engagement à D.ieu. Ces Juifs ne
furent pas libérés. Car bien que D.ieu acceptât les Juifs en Egypte comme ils étaient,
malgré leur niveau spirituel très bas, après deux siècles d’esclavage dans la société la
plus dépravée de la terre, une condition devait néanmoins être remplie : il fallait désirer
la liberté pour la gagner.
Et pourtant, qu’y a-t-il à gagner en disant à l’enfant impie que «s’il s’était trouvé là-bas, il
n’aurait pas été libéré»? N’aliénons-nous pas davantage ainsi un enfant déjà étranger?
En réalité, notre réponse à cet enfant n’est pas un message de rejet et de bannissement,
mais celui d’une acceptation et d’une promesse. S’il s’était trouvé là-bas, lui disons-nous,
il n’aurait pas été sauvé. La sortie d’Egypte avait pris place avant la révélation sinaïtique,
avant que D.ieu ne choisisse chacun des Juifs comme le Sien. Là-bas, en Egypte, la
rédemption était sujette au choix individuel. S’il avait été là-bas, il s’y trouverait encore.
Mais il n’y était pas, il est ici.
«Ici», cela veut dire après Sinaï. Ici, libres, c’est ce que nous sommes plutôt que quelque
chose que nous pouvons choisir d’être ou le décliner. Il est vrai que nous sommes en
exil, mais «en ce jour, prophétise Yichayahou, vous serez rassemblés, un par un, Ô
enfants d’Israël». Quand D.ieu reviendra nous sauver, pas un seul Juif ne sera laissé en
arrière.
Le cinquième enfant
Bien que si différents, les « quatre fils » de la Haggadah partagent néanmoins un point
commun: qu’ils soient impliqués, défiants, incapables ou indifférents, ils sont tous
présents à la table du Séder. Ils ont tous un lien, bien que chacun à sa manière, avec
notre vécu annuel de la sortie d’Egypte et de notre naissance comme nation. La
communication est ouverte; l’«enfant sage» potentiel qui réside dans chaque enfant juif
est approchable.
Mais aujourd’hui, dans notre ère de déplacement spirituel, existe un cinquième fils : le
Juif qui est absent de la table du Séder. Il ne pose pas de questions, ne lance aucun
défi, ne témoigne aucun intérêt. Car il ne sait rien du Séder, rien du sens de la sortie d’
Egypte, rien de la révélation de Sinaï lors de laquelle nous reçûmes notre mission et
notre rôle en tant que Juifs.
A ces enfants de D.ieu, absents, nous devons nous consacrer longtemps avant la
première nuit de Pessa’h. Nous ne devons pas oublier un seul enfant juif; nous devons
investir toutes nos énergies et nos aptitudes pour ramener jusqu’au dernier «cinquième
fils» à la table du Séder de la vie juive.